Sous un cèdre majestueux, alternant moments de gravité et de légèreté, Joan Baez a enchanté son auditoire composé de personnalités genevoises, diplomates, fonctionnaires onusiens, militants des droits humains et quelques journalistes, invités à la résidence de l’Ambassadrice des États-Unis auprès du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU.
Née en 1941, Joan Baez n’a rien perdu de son aura d’alors. Chanteuse, compositrice, militante des droits civils et de la justice sociale, elle séduit depuis des décennies des millions de citoyens, toutes générations confondues et sous toutes les latitudes. Ce n’est pas succomber à la nostalgie des années 60 et 70 que de se remémorer quelques temps forts de la carrière de cette personnalité marquante et inspirante, comme lorsqu’elle chantait en duo avec Bob Dylan, auteur-compositeur-interprète et lauréat contesté du Prix Nobel de Littérature en 2016, qui fut son compagnon de route et de vie sentimentale de 1961 à 1964.
Comme l’a noté Éric Mandel dans le Journal du dimanche (JDD) du 9 octobre 2011, Joan Baez mènera de front une carrière de chanteuse et d’activiste, armée de sa guitare. « Elle sera à Hanoi en 1972 sous les bombes des B52 américains ; elle chantera No Parasan à la télé espagnole franquiste ; donnera un concert en pleine dictature chilienne ; accompagnera Solidarnosc à Gdansk en 1980 et Vaclav Havel à Bratislava en 1989, sans oublier Sarajevo assiégée ». Fidèle à ses idéaux et à l’épure de la musique folk.
Outre Blowin in the Wind, deux autres chansons interprétées par Joan Baez continuent de m’émouvoir : Here’s to you, écrite par ses soins et mise en musique par le compositeur italien Ennio Morricone, bande originale du film Sacco e Vanzetti de Giuliano Montaldo (1971). Ballade engagée dédiée à Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti, deux citoyens d’origine italienne, simples activistes ou sympathisants anarchistes, victimes d’une controverse judiciaire aux États-Unis. Arrêtés le 5 mai 1920, soupçonnés d’avoir commis deux braquages, Nicola Sacco, 29 ans, ouvrier cordonnier, et Bartolomeo Vanzetti, 32 ans, vendeur de poisson ambulant, seront jugés et exécutés sur la chaise électrique dans la nuit du 22 au 23 août 1927, en même temps que Celestino Madeiros, l’homme qui avait avoué être l’auteur de l’un des braquages imputés à Sacco et Vanzetti, malgré des manifestations en leur faveur aux États-Unis comme dans d’autres villes de par le monde. Nicola Sacco et Bartolomeo Vanzetti seront absous 50 ans plus tard par le gouverneur du Massachussetts, comme le rappelle le site de la Radio-Télévision Suisse (RTS).
Interprète de nobles causes
Autre interprétation inoubliable de Joan Baez : celle de Gracias a la vida, chanson culte écrite, mise en musique et chantée par l’artiste chilienne Violeta Parra en 1966, que la voix mélodieuse de l’icône folk nord-américaine sublimera dans l’album du même titre qu’elle enregistrera en 1974. Gracias a la vida était dédiée notamment à l’anthropologue et musicien suisse Gilbert Favre, grand amour de la talentueuse artiste chilienne. Elle mettra à l’honneur la musique traditionnelle de son pays qui sera outragé quelques années plus tard par le coup d’État militaire dirigé par le général Augusto Pinochet mettant fin, le 11 septembre 1973, à la présidence de Salvador Allende, démocratiquement élu le 4 septembre 1970, confirmé dans sa fonction de président par un vote du Congrès chilien.
Et comment oublier la flamboyante Joan Baez, âgée de 22 ans, chantant en s’accompagnant à la guitare au Lincoln Memorial, devant 300’000 personnes, lors de la Marche sur Washington en faveur des droits civiques, le 28 août 1963, We Shall Overcome (« Nous triompherons ») tiré d’un gospel de Charles Albert Tindley. Avant que Martin Luther King Jr prononce son discours historique et sa fameuse phrase I Have A Dream (« J’ai un rêve »). Âgé de 35 ans, le pasteur baptiste afro-américain sera, en 1964, le plus jeune récipiendaire du Prix Nobel de la Paix, obtenu pour son engagement non-violent et ses revendications pacifistes. Il sera assassiné le 4 avril 1968 à Memphis (Tennessee).
Dans le parc de la résidence de l’Ambassadrice des États-Unis, en écoutant Joan Baez évoquer Martin Luther King, je pense au chemin parcouru par cette grande dame de la chanson. Jadis pour sensibiliser aux droits civils des Afro-Américains, des Américains d’origine asiatique et des femmes sur le lieu de travail. Et aujourd’hui par solidarité avec le peuple ukrainien et la souffrance des enfants de ce pays agressé luttant pour décider de son destin.
Assise à côté de l’ambassadrice Taylor, se remémorant son engagement passé, Joan Baez affirme qu’« à l’époque, on prenait des risques, on accompagnait des enfants noirs à l’école dans le Mississippi », en référence à l’intégration des élèves dans cet État du Sud en 1966. Et la vaillante artiste âgée de 82 portés avec une élégance juvénile d’encourager les gens à prendre des risques et à « faire de bonne choses ». Dans la Cité de Calvin, elle était également présente au vernissage de l’exposition itinérante A More Perfect Union: American Artists and the Currents of Our Time, marquant le 60e anniversaire de la Democracy Collection rassemblée par le bureau Art in Embassies.
Fondatrice du Comité International Humanitas pour les droits de l’Homme qu’elle a présidé durant treize ans, Joan Baez s’est retirée de la scène pour se consacrer à la peinture et au dessin. La première exposition individuelle des tableaux de sa série Mischief Makers a eu lieu à la galerie Seager Gray de Mill Valley en Californie. À Genève, le public a pu admirer le portrait que Joan Baez a peint d’Eleanor Roosevelt, l’épouse du président des États-Unis Franklin Delano Roosevelt, première dame devenue la première représentante de son pays à la tête de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU. Elle contribua à rédiger la Déclaration universelle des droits de l’Homme.
Ce tableau figure dans l’exposition sur la défense d’idéaux démocratiques comme la liberté et l’égalité, dans le contexte de Art in Embassies, soft power par la culture, arme de séduction massive des États-Unis. « Créé en 1963, le bureau du Département d’État Art in Embassies joue un rôle crucial dans la diplomatie de notre pays à travers une mission culturelle d’envergure, la mise en place d’expositions temporaires ou permanentes, la programmation d’artistes et des publications », peut-on lire dans le catalogue distribué lors de l’événement tenu à la résidence de l’ambassadrice Taylor.
Le lendemain soir, lors de l’inauguration de l’exposition à la galerie Xippas, Michèle Taylor déclarera à propos de cette exposition itinérante : « C’est plus qu’une simple vitrine de l’art américain. Il s’agit d’une déclaration puissante sur l’époque dans laquelle nous vivons, les défis auxquels nous sommes confrontés et les idéaux que nous nous efforçons de défendre ». En mai, à la suite d’une visite aux États-Unis, des experts indépendants de l’ONU avaient estimé que les autorités américaines devaient s’attaquer au racisme systémique à l’encontre des personnes d’ascendance africaine et enquêter sur les brutalités policières.
En réponse à une question de Global Geneva sur son prochain défi, Joan Baez a déclaré : « À cet instant, mon prochain défi est d’aller en Ukraine, si cela peut avoir un sens ». Ajoutant, non sans humour, « et l’autre est de bien vieillir. Je vais passer le reste de ma vie à faire de l’exercice. Mon programme est de faire ce qui se présentera sur mon chemin si mon corps pourra le faire ».
Le soleil décline. Avant de se lever pour aller visiter l’intérieur de la résidence puis de s’approcher du buffet offert par l’ambassadrice Taylor, Joan Baez prend congé des invités en entonnant a cappella Blowin in the Wind, écrit par son ancien complice Bob Dylan.
Forever young Madam Joan Baez. So long.
Luisa Ballin est une journaliste Italo-suisse qui collabore régulièrement avec le magazine Global Geneva.
Italo-Swiss journalist Luisa Ballin is a contributing editor of Global Geneva magazine.
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