Peut-on classer le bonheur des citoyens vivant des réalités diverses dans des Nations aux situations parfois diamétralement opposées ? Affirmatif, estime une étude compilée sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies, publiée le 19 mars dernier. Verdict du World Happiness Report 2021? Pour la quatrième année consécutive, la Finlande est désignée « pays le plus heureux du monde », devant le Danemark, la Suisse et l’Islande.
Dans ce classement publié depuis 2012, qui radiographie la perception du bonheur des habitants de 150 pays, l’Europe truste neuf des dix premières places, puisque, outre la Finlande, le Danemark, la Suisse et l’Islande, les Pays-Bas, la Norvège, la Suède, le Luxembourg et l’Autriche y figurent en compagnie de la Nouvelle-Zélande qui arrive au 9e rang. Les autres pays occidentaux se classent moyennement : Allemagne (13e), Canada (14e), Royaume-Uni (17e), Etats-Unis (19e), Belgique (20e), France (21e), Espagne (27e), Italie (28e). Plus loin au classement figurent notamment le Brésil (35e), le Japon (56e), la Russie (76e), la Chine (84e), l’Inde (139e). Les pays les moins heureux du monde sont, pour les auteurs de l’étude, le Zimbabwe, le Rwanda, le Botswana, le Lesotho et l’Afghanistan.
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Quels sont les indices du bonheur ? La qualité de vie ? L’accès à l’emploi et aux soins ? Le lien social ? Le sentiment de sécurité ? A ce ressenti subjectif du bien-être, les chercheurs du World Happiness Report intègrent des paramètres comme le PIB par habitant, l’espérance de vie, la solidarité, le niveau des libertés et la corruption, pour aboutir à une note sur 10.
Le Bhoutan est le seul pays à avoir introduit, en 1972, le Bonheur national brut (BNB) au détriment du Produit intérieur brut (PIB), indicateur de mesure des richesses économique d’un pays. Le bonheur national brut englobe la sauvegarde de l’environnement et la bonne gouvernance dans son calcul. Exemple inspirant que le Bhoutan puisque, à son initiative, l’Assemblée générale de l’ONU a voté, en 2011, une résolution appelant ses Etats membres à mesurer le degré de bonheur de leur peuple. Pour les Suisses, par exemple, la santé et le bien-être économique figurent en tête de liste des facteurs de bonheur.
Un livre pour résumer l’Histoire mondiale du bonheur
Le bonheur est une quête universelle à travers les âges. Cro-Magnon se posait-il la question de savoir s’il était heureux ? Comment les esclaves aux Caraïbes et autres peuples premiers ont-ils maintenu des formes de joie, malgré les tragédies qu’ils vivaient ? Quels moyens d’accéder au bonheur les différentes spiritualités offrent-elles ?
Plus de 60 historiens, philosophes, sociologues, anthropologues et psychologues se sont penchés sur la notion de bonheur pour tenter de percer le mystère de la manière d’être heureux en tous lieux et en tout temps dans l’Histoire mondiale du bonheur, ouvrage passionnant paru en 2020, rédigé sous la direction de François Durpaire, docteur et agrégé d’Histoire, maître de conférence à l’université de Cergy-Pontoise et co-fondateur du laboratoire BONHEUR (USP, INSPE de Versailles), par ailleurs instigateur de la semaine du bonheur à l’école (qui a eu lieu en France du 16 au 21 mars 2020).
François Durpaire note qu’« On pourrait résumer l’apport des chercheurs à cinq qualités requises pour être heureux, qui correspondraient schématiquement à chacun des cinq continents :
- l’Asie et la « sagesse », qui pose le primat de la volonté de l’esprit humain ;
- l’Europe et le « plaisir », qui autonomise la relation de l’homme à son corps ;
- l’Afrique et le « partage », qui met en avant la relation aux autres ;
- l’Amérique et l’ « harmonie », que les Amérindiens privilégient dans le lien qu’ils entretiennent avec la nature ;
- l’Océanie et le « rêve », qui dans la culture aborigène propose une relation singulière avec l’inconnu”.
Le bonheur définit-il l’originalité d’une civilisation, de l’Inde ancienne à l’Egypte pharaonique, de la Chine à l’Europe de la Renaissance ? Les auteur-e-s- de l’Histoire mondiale du bonheur dévoilent tout ce que nous aurions toujours voulu savoir sur des bonheurs antiques : en Chine ancienne, au Japon, en passant par l’Egypte pharaonique ou chez les Athéniens, les Romains et au Moyen-Âge. Ces spécialistes émérites nous renseignent aussi sur les bonheurs modernes, les bonheurs politiques, les plaisirs dominants et les bonheurs résiliants, les bonheurs marchands, le travail, les sciences du bonheur et les bonheurs technologiques. Car, comme l’écrivait Tolstoï, « Le bonheur n’est réel que lorsqu’il est partagé ».
Objectifs du développement durable, éducation et supplément d’âme
François Durpaire rappelle par ailleurs qu’en 2015, l’UNESCO a adopté un plan autour de 17 objectifs de développement durable afin de « permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tous âges ». Et de préciser que « le dernier rapport de suivi de ce plan fait état de conditions qui rendent impossible le bonheur de millions de personnes, tout en marquant des progrès réels. Un seul exemple : le nombre total des décès des enfants de moins de 5 ans est passé de 9,9 millions à 5.6 millions. L’accès d’une éducation de qualité est une autre condition du bienêtre collectif…Envisager le bonheur pour ces enfants ayant à vivre dans une société technologique où savoir lire et écrire est encore plus nécessaire qu’auparavant passe par la solidarité éducative entre pays riches et pays en développement ».
Pour la philosophie hindouiste, le bonheur est une harmonie, puisque le bien-être de L’Univers, le bien-être de la société et le bien-être des individus se complètent dans un équilibre entre la vie intérieure et le monde extérieur. Catherine Barry explique que pour le Bouddha, le bonheur ne dépend que de nous. Selon le dalaï-lama au XIVe siècle « La clé de notre bonheur dépend de notre capacité à être satisfait. Le vrai bonheur ne dépend d’aucun être, d’aucun objet extérieur. Il ne dépend que de nous. Ce sont nos actions, nos paroles, nos pensées qui engendrent le bonheur ou la souffrance ».
Dans l’Egypte pharaonique, indique Florence Maruéjol, « hors du monde du travail, l’amour est la plus grande source du bonheur…Les jeunes gens supplient Hathor, déesse de l’amour, surnommée la Dorée, de leur attribuer comme partenaire l’élu(e) de leur cœur ». Ensemble, c’est mieux. Le bonheur est aussi fait de plaisirs et de joies simples. Les amis sont heureux de se retrouver pour manger et pour boire. Sans oublier une belle fin pour un nouveau début. Des funérailles exécutées en respectant à la lettre le déroulement du rituel augurent bien du passage dans la vie future.
Anne Cheng déclare qu’en Chine ancienne, comme le résument les premières annales historiques (Shiji) dues à Shima Qian au 1er siècle avant notre ère : Un souverain sage et des ministres vertueux, c’est le bonheur suprême pour le monde. Un prince éclairé et des ministres intègres, c’est le bonheur pour le pays. Un père bienveillant et des fils respectueux, un époux digne de confiance et une épouse fidèle, c’est le bonheur pour la famille.
Bonheur solitaire versus bonheur solidaire ? La conclusion de François Durpaire est emblématique de cette recherche du bonheur sans cesse courue : « Pour aujourd’hui et pour demain, construire les fondements de sociétés heureuses, c’est éduquer à la solidarité, au pardon, à l’écoute, à la gratitude, à la bienveillance. Cela implique une réorganisation des enseignements autour des valeurs humaines et des compétences de vie. Face à l’accroissement des possibilités technologiques, ce supplément d’âme s’impose à nous. Il passera par l’authenticité de notre relation à nous-même, aux autres et à la Terre ».
Luisa Ballin est une journaliste Italo-suisse qui collabore régulièrement avec le magazine Global Geneva.
Italo-Swiss journalist Luisa Ballin is a contributing editor of Global Geneva magazine.
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