Lutter pour l'égalité: femmes en Suisse et dans le monde
Explorez les luttes des femmes pour l'égalité des droits en Suisse et ailleurs, mettant en lumière les défis et les avancées dans la quête de la justice sociale.

Explorez les luttes des femmes pour l'égalité des droits en Suisse et ailleurs, mettant en lumière les défis et les avancées dans la quête de la justice sociale.
Les 17 Objectifs de développement durable (ODD) et leurs 169 cibles composant l’Agenda 2030, adoptés en 2015 par les 193 États membres de l’ONU, visent un monde plus équitable. L’objectif numéro 5 de cette feuille de route stipule que « l’égalité des sexes n’est pas seulement un droit fondamental à la personne, elle est aussi un fondement nécessaire pour l’instauration d’un monde pacifique, prospère et durable ».
L’Organisation des Nations Unies constate, certes, que des progrès ont été réalisés au cours des dernières décennies : davantage de filles sont scolarisées, moins de filles sont contraintes de se marier précocement, davantage de femmes siègent dans les parlements et occupent des postes de direction. Et les lois sont réformées afin de faire progresser l’égalité des sexes. Mais l’ONU souligne aussi que, « en dépit de ces avancées, de nombreux défis subsistent : les lois et les normes sociales discriminatoires restent omniprésentes ; les femmes restent sous-représentées à tous les niveaux du pouvoir politique ; et 20 % des femmes et des filles âgées de 15 à 49 ans ont subi des violences physiques ou sexuelles de la part d’un partenaire intime sur une période de 12 mois ».
Sur le front de la rémunération des emplois, le World Economic Forum (WEF) l’affirme : « au rythme actuel, l’égalité salariale sera atteinte en 2133 ». Qu’en est-il de la Suisse, troisième pays le plus heureux du monde, selon une étude du World Happiness Report 2021 ? Peut mieux faire, d’après Equileap, un fournisseur de données indépendant spécialisé dans l’égalité des genres, disposant de bureaux à Londres, Amsterdam, Munich et Genève, qui proclame : « la Suisse est le pays où les femmes ont le moins de chances d’être promues ».
Ambition. Promotion. Stagnation. Contestation. Serait-ce le lot d’une majorité d’habitantes de la placide Helvétie ? Décidées à obtenir un salaire égal à celui de leurs homologues masculins, les jeunes femmes et leurs aînées continuent de se mobiliser. Annetta Caratsch en est un exemple lumineux. Secrétaire, étudiante, manifestante, épouse d’ambassadeur, mère de trois enfants, traductrice-jurée et férue de théâtre, l’alerte dame partage volontiers souvenirs, désirs, passions et rébellion, avant l’écriture imminente de ses mémoires de femme de diplomate et l’histoire de sa famille originaire des Grisons.
Deux clichés ont immortalisé Annetta Caratsch, le 1er mars 1969, alors qu’elle manifestait en faveur du droit de vote des femmes sur la place Fédérale, juchée sur les épaules de deux compagnons de lutte, sifflant ses convictions et drapeau noir brandi. Elle se remémore les temps forts de sa vie palpitante.
La contestation ? « Tout a commencé à Paris, en mai 68, puis cela s’est étendu à Zurich, ville où j’habitais. Le grand magasin Globus, situé au bord de l’eau, avait été pris d’assaut. La police a libéré les lieux et arrêté les étudiants, tout en les matraquant. J’avais 22 ans. Avec mes parents, cela allait mal, comme pour la plupart d’entre nous. Ils étaient à la retraite et critiquaient tout ce que je faisais. Nous les jeunes, nous voulions changer le système. Nous manifestions contre les dictatures. Comme lorsque le Shah de Perse est venu en Suisse et logeait avec sa suite dans un grand hôtel à Zurich. Les manifestants voulaient remettre une pétition. La police a permis à trois personnes bien habillées d’entrer prendre un thé, facturé presque dix francs ! Un des sbires du Shah a pris la pétition et a tourné les talons », raconte Annetta Caratsch avec humour.
Outre les manifestations contre les dictatures, la situation des femmes mobilisait également les jeunes. « À l’époque, les femmes n’avaient pas le droit de vote en Suisse. Elles étaient nombreuses à travailler et à éduquer seules leurs enfants, alors que le clochard du coin avait le droit de voter, lui : c’était révoltant ! Sans parler des femmes qui peinaient à obtenir un poste. Les premières femmes pasteures ont pu exercer dès 1935, après avoir obtenu leur diplôme. Ma belle-mère était l’une d’elles. En Suisse, au sein de l’église protestante, on se méfiait de nommer une femme ! ».
Lutter contre les injustices sociales, telle était l’aspiration d’Annetta Caratsch. « Je suis entrée dans une commune rouge, d’après le modèle allemand de la Rote Kommune, où des gens vivaient en communauté en payant des loyers minuscules. Il y avait des étudiants en théologie et des agronomes qui voulaient aller en Afrique. C’était stimulant ! Je me suis inscrite à l’université de Zurich, je voulais gagner ma vie rapidement, en quittant mes parents. Trouver un travail dans un bureau ou faire un remplacement était facile et bien payé. Je voulais étudier le droit pour défendre les gens, même si ma passion était l’Histoire. Nous pouvions étudier et travailler en même temps pour mettre de l’argent de côté. En fabrique, les salaires de l’heure étaient clairement affichés : homme suisse : 3 francs ; femme suisse : 2.50 francs, homme étranger : 2 francs ; femme étrangère : 1.50. Le travail à la chaîne était monotone et mal payé».
Annetta Caratsch commente deux photos prises lors d’une manifestation en faveur du droit de vote des femmes, à Berne, sur la place Fédérale. L’un des deux clichés en noir et blanc, signé Luc Chessex, l’immortalisant sur les épaules de deux compagnons de rébellion, est emblématique de ses années de jeunesse. « Lors de cette manifestation, les gens nous houspillaient dans la rue. Une femme m’a tendu un billet de cent francs me criant d’acheter un aller simple pour Moscou. Ces gens nous considéraient des communistes, alors que le drapeau que nous brandissions était celui de l’anarchie ! Plus tard, j’ai épousé un camarade d’études qui est devenu diplomate ».
Par amour, la jeune contestataire fait l’apprentissage des exigences de la diplomatie helvétique.
« Si deux conjoints souhaitaient entrer dans la diplomatie, Berne ne pouvait assurer un poste aux deux dans le même pays. Dans notre cas, un choix a été fait. Un des deux devait se sacrifier et, à l’ancienne, ce fut moi ». Annetta Caratsch suivra son mari, chargé d’affaires en Colombie, « à l’époque de Pablo Escobar », précise-t-elle.
Femme de diplomate, difficile voire impossible de trouver un emploi. « Qui m’aurait donné du travail pour un laps de temps incertain ? ». À Bogota, Annetta Caratsch suit des cours d’espagnol et élève ses trois enfants. « Nous n’avions pas le droit de nous exprimer. Si nous souhaitions écrire et publier une opinion, il fallait au préalable l’envoyer à Berne pour approbation. La Colombie a été pour moi le poste le plus impressionnant. Nous étions sans cesse menacés. Escobar faisait enlever tant d’étrangers et de riches Colombiens. J’ai connu des personnes qui ont été kidnappées. Nous sommes restés quatre ans en Colombie, puis Berne nous a proposé un poste à Strasbourg, au Conseil de l’Europe. Mon mari est devenu ambassadeur. Strasbourg m’a beaucoup plu, l’école pour nos trois enfants était excellente. Malheureusement, mon mari est mort dans un accident ».
Annetta Caratsch ne cache pas le parcours du combattant qu’elle a mené pour obtenir une pension de veuve. Elle décide d’aller vivre à Genève avec ses deux garçons et sa fille, « ville où les écoles et l’université étaient de bon niveau ». En 1997, Annetta Caratsch trouve un appartement dans la Vieille ville, où elle réside toujours. « Les documents de Berne n’arrivaient pas pour que la régie me donne le bail. Finalement, le document dûment tamponné est arrivé en dernière minute du délai fixé ».
Désireuse de trouver au plus vite un emploi, Annetta Cartasch passe le concours de traducteur-juré « qui n’existe qu’à Genève et à Neuchâtel. Ce travail m’a permis d’entrer au tribunal comme interprète lors des procès et le soir c’était les Prud’hommes. La police m’a aussi engagée des dimanches entiers ». Détail piquant, la police genevoise fera régulièrement appel à la femme qui, dans sa jeunesse, donna du fil à retordre à la police zurichoise.
Annetta Caratsch relate aussi l’atmosphère d’une époque où les jeunes contestataires suisses étaient source de méfiance. « À la fin des années 1980, au moment où Ernst Cincera était actif, j’ai attendu un an et demi pour recevoir ma fiche de Berne. La voici ». Le scandale des fiches éclatera à la fin des années 1980, lorsque les citoyens suisses et autres habitants du pays réputé pour sa neutralité découvriront que les autorités fédérales et des polices cantonales avaient surveillé entre 700 000 et 900 000 personnes, dans le but de protéger la Confédération helvétique d’activités subversives communistes dans le contexte de la Guerre froide.
« Vous pouviez être fiché, par exemple, pour avoir participé à une manifestation ou pour le simple fait d’être féministe. La surveillance était de mise. Dans les années 1970, si un homme et une femme n’étaient pas mariés, ils n’avaient pas le droit de vivre ensemble. Dans plusieurs cantons, on pouvait aller en prison pour cela. Les homosexuels, eux, pouvaient habiter ensemble maritalement », se souvient mon interlocutrice.
Révolutionnaires Annetta Caratsch et l’homme qui deviendra son époux ? « Nous sommes tombés amoureux en fréquentant un groupe d’étudiants. Nous étions anarchistes, même si l’idéal anarchiste ne marche pas, puisque la loi du plus fort finit par gagner. Nous voulions changer le système et le droit suisse afin que les pauvres aussi puissent avoir de bons avocats ». En feuilletant l’album de ses souvenirs, Annetta Caratsch commente les photos de son mariage, et plus particulièrement celle où elle lève le point en sortant de la cérémonie. « Je lève le poing, mais pas mon frère qui était diplomate et ne voulait pas se mouiller », dit-elle en riant. Et que pensait son époux diplomate de l’engagement affiché de son épouse ? « Mon mari était fier de moi ! », répond-elle avec un regard bleu malicieux.
L’autre homme marquant de la vie d’Annetta Caratsch a été son père. « Correspondant de la Neue Zürcher Zeitung à Berlin, mon père a été expulsé par Hitler. Le Führer lisait tous les jours la NZZ et considérait mon père comme un opposant. A son retour en Suisse, la NZZ l’a laissé tomber. Cela montre la mentalité des actionnaires qui étaient derrière ce journal, soucieux de préserver les mandats que l’industrie suisse pouvait obtenir. Mon père ne leur parlait plus. Après la guerre, la grande récompense est arrivée ! La NZZ a dit à mon père : Caratsch, vous étiez un prophète ! Pour vous garder, nous vous offrons ce qu’il y a de meilleur pour un correspondant : Washington ou Paris. Villa, voiture, secrétaire, chauffeur, tout ce que vous demandez ! Mon père a choisi Paris, parce qu’il adorait cette ville et pour être loin de la rédaction. Il a été le correspondant de la NZZ à Paris de 1947 à 1963. Le journal apparaissant trois fois par jour : matin, midi et soir, mon père travaillait sans cesse, on ne le voyait jamais. Il n’avait que le samedi après-midi de libre ».
Après le retour de la famille à Zurich, Annetta Caratsch, désireuse d’acquérir son indépendance, quittera l’appartement de ses parents pour prendre une chambre laissée vacante par une de ses amies. Elle se lancera dans la rédaction d’une thèse sur un événement qui avait fait grand bruit à l’époque, L’assassinat de Vorovski et le procès Conradi.
« J’ai écrit une thèse sur un procès qui a eu lieu à Lausanne, suite à l’assassinat, le 10 mai 1923, du diplomate soviétique Vaclav Vorovsky, lors de la conférence de Lausanne sur la question d’Orient. L’accusé, Moritz Conradi, un Suisse élevé à Saint-Pétersbourg, avait combattu dans l’armée impériale, puis aux côtés des Russes blancs avant son retour en Suisse en 1921. Versailles n’ayant pas traité la question des détroits turcs, les décideurs se sont rattrapés à Lausanne. Il fallait inviter les Soviétiques qui étaient concernés. Les Anglais et les Français voulaient fermer les détroits, vieille obsession des Russes d’avoir accès à la mer. Le procès de Conradi a suscité un tollé à Lausanne, avec des applaudissements et même des collectes pour ériger une statue à Conradi et son complice russe Polounine, ces garçons héroïques qui avaient tué le diable bolchévique. Ce procès a été transformé en celui du communisme : par un revirement des circonstances, les coupables se transforment en accusateurs, puis disparaissent dans le remous de la politique, faisant place à tout un peuple et à sa destinée. Subjugué par cette habile mise en scène, les neuf jurés (tous des hommes, tirés au sort de milieux humbles) se sont crus appelés à prononcer un verdict historique : il ont mis l’URSS au ban de l’humanité. Le soir même, les deux accusés sortaient libres, sous un tonnerre d’applaudissements plus entendus depuis l’Armistice de 1918 ».
L’Histoire et l’engagement citoyen. Deux centres d’intérêt qu’Annetta Caratsch partage avec sa fille Isabelle Gattiker, directrice générale du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) depuis 2015. Des films et des débats qu’Annetta Caratsch espère retrouver dès que la situation sanitaire due au coronavirus le permettra. Son souhait ? « J’aimerais revenir à la vie d’avant et retourner à St-Pétersbourg. J’ai repris des études de russe, mais sur Zoom ce n’est pas la même chose qu’en présentiel. Je suis aussi dans une troupe de théâtre. Mais à cinq personnes, lorsque nous devrions être sur scène, c’est un désordre de déclamer ou de chanter chacun pour soi. Et puis, je me réjouis de pouvoir prendre à nouveau un café et de dîner dans un restaurant sympa », conclut-elle.
Luisa Ballin est une journaliste Italo-suisse qui collabore régulièrement avec le magazine Global Geneva.
Italo-Swiss journalist Luisa Ballin is a contributing editor of Global Geneva magazine.
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