ÉDITION FRANÇAISE:Née en 1982 à Neuchâtel, d’une mère guinéenne et d’un père suisse, Namsa Leuba a étudié à l’École d’arts appliqués (EAA) de La Chaux-de-Fonds où, bien avant elle, l’un des étudiants graveurs n’était autre que Charles-Edouard Jeanneret qui deviendra l’architecte Le Corbusier. Après avoir poursuivi son cursus à l’École cantonale d’Art de Lausanne (ECAL) puis à l’École d’arts visuels de New York, la jeune femme se passionne pour la représentation occidentale de l’identité africaine et autres sujets inspirants.
« Les photographies de Namsa Leuba, mises en scène, agissent comme des miroirs réfléchissant les idées reçues, les constructions imaginaires héritées du colonialisme et ses lunettes déformantes de domination, superficialité et folklorisation, qui charpentent encore en partie le regard occidental sur le continent africain », déclare Gautier Chiarini, directeur de la Fondation Opale de Lens, avant l’accrochage de l’exposition.
En 2013, la photographe suisse et guinéenne fait partie des lauréats du Magenta Foundation Flash Forward Festival — Emerging Photographers in United States. Ses œuvres sont exposées en Suisse, à Arles, en Afrique du Sud, au Nigeria, au Canada, en Corée du Sud et en Espagne, ainsi que dans des musées prestigieux à New York et au Guggenheim de Bilbao.
Dans l’entretien qu’elle a accordé à Global Geneva, par Skype depuis Bordeaux, Namsa Leuba explique sa démarche artistique. « J’ai la chance d’avoir une double culture, un double héritage, une double origine qui me permettent d’avoir un large éventail et une grande richesse. Je travaille sur les identités africaines à travers le regard occidental, parce que je suis née en Europe. Si j’étais née en Afrique, ma perception aurait été autre, du fait d’une culture et d’un environnement différents ».
« J’ai commencé mon travail avec Ya Kala Ben ou Regards croisés en français. Je suis partie en Guinée rencontrer des marabouts et y faire des cérémonies. Je me suis intéressée à l’univers animiste. J’ai eu envie de m’en approcher et d’étudier ma culture. Après ce travail artistique sur l’animisme, je suis allée en Afrique du Sud, pays qui m’a toujours intriguée par ses nombreuses croyances et son histoire complexe due à l’apartheid. L’animisme y est différent. Le vaudou n’y est pas pratiqué. Je suis partie faire un syncrétisme culturel, en mélangeant du vaudou avec la culture zulu ».
Son travail a été très bien accueilli par les Sud-Africains, affirme Namsa Leuba. « Ils ne voyaient pas un sacrilège dans le fait que je mélange le vaudou avec leur culture. Ils étaient intrigués et curieux ! Par contre, en Guinée, lorsque j’ai photographié des êtres humains dans des positions ressemblant à des statuettes, il y a eu des réactions violentes. Mon travail a été perçu comme un sacrilège. J’ai été arrêtée par la police. En Afrique, les croyances sont différentes de pays à pays ».

Histoire, culture et croyances inspirent la jeune photographe, maman d’un petit garçon. « Je fais un travail de mise en scène, de la docu-fiction. Je ne montre pas la réalité, mais une réalité. En Europe, on pense que mes photos sont la réalité, mais si on connait la culture de tel ou tel pays africain, on s’aperçoit que c’est faux. Il s’agit d’une inspiration. Je fais des photos, je dessine et je créée des costumes. Je suis aussi partie au Bénin, berceau du vaudou. Chaque fois que je vais dans un pays, je pratique des rituels, animistes, vaudou ou autres, ce qui me permet d’avoir une bonne immersion dans mon travail et mon sujet. J’essaie de montrer l’invisible pour le rendre visible ».
Gautier Chiarini note que la série Tonköma (2015) est inspirée par la figure du Nyamou, « diable dans la forêt sacrée » de la tradition guinéenne, recontextualisée dans le cadre d’une séance photo de mode – pour la marque équitable Edun, fondée par le chanteur Bono de U2 – et mettant en lumière l’héritage multiculturel de l’artiste ».
S’agissant de la série sur les Black Panthers, Namsa Leuba tient à partager son enthousiasme : « On en revient à l’identité. Cette fois-ci afro-américaine. Ce mouvement contre la ségrégation raciale m’a toujours fascinée, ainsi que la force et la détermination de ses membres. Je souhaitais faire un sujet sur la complexité de l’histoire des descendants d’esclaves africains aux Etats-Unis, de créer un scénario et une mise en scène. Ces photos résument un moment imaginé, qui aurait pu avoir eu lieu aux Etats-Unis. En fait, ces clichés ont été réalisés en Suisse ! Tous les modèles sont suisses et viennent principalement de Lausanne ! J’ai aussi aimé travailler l’aspect technique, la texture, le grain des photos et les agrandissements ».
La curiosité de Namsa Leuba la pousse au voyage, au regard porté au loin. « Je suis également partie à Tahiti pendant trois ans où j’ai créé la série Illusions qui parle à nouveau d’identité, de genre, de cultures. J’aime la peinture de Paul Gauguin, qui a vécu là-bas. Il a peint des Mahu, hommes aux manières efféminées, à la virilité masculine. Les mises en scène et la palette de couleurs de Gauguin m’ont inspirée. J’ai aussi voulu illustrer le mythe de la vahiné, la façon dont elle est vue dans l’inconscient collectif ».
Touche à tout talentueuse, Namsa Leuba a par ailleurs imprégné sa griffe originale lors de campagnes pour Christian Lacroix et pour Dior. « Ces marques ont repéré mon travail et m’ont démarchée. Elles ont souhaité que j’apporte ma touche personnelle dans leur campagne et leurs compositions. Pour Christian Dior, j’ai créé deux sacs, des éditions limitées de 100 exemplaires chacun. Un sac en vison inspiré d’une de mes photos réalisées en Afrique du Sud, le Lady Dior Bag, de dimension moyenne. Et le second, plus petit, réalisé en jacquard, inspiré d’une photo que j’ai faite en Afrique du Sud sur la tribu Ndebele ».
Expériences inoubliables pour Namsa Leuba. « C’était passionnant de choisir les cuirs, les tissus, la fourrure. C’était du design, de la direction artistique. Une autre personne a pris les photos de mes deux sacs. J’ai ensuite réalisé la campagne Dior Cruise 2020, en choisissant le lieu, le concept, les vêtements et les modèles que je souhaitais photographier. Ce shooting a été une collaboration magique », conclut-elle.
À écouter : Jeudi 4 août, à 18h30, Regards croisés. Namsa Leuba, en conversation avec Luisa Ballin, à l’invitation de Swiss Made Culture. Fondation Opale, Lens (VS). Réservation obligatoire : event@swissmadeculture.ch ou 079 849 94 85 – www.swissmadeculture.ch
À découvrir : Spécial Focus II : Namsa Leuba, exposition de photos, du 4 août au 6 novembre 2022. Fondation Opale à Lens – gc@fondationopale.ch – www.fondationopale.ch
Luisa Ballin est une journaliste Italo-suisse qui collabore régulièrement avec le magazine Global Geneva.
Italo-Swiss journalist Luisa Ballin is a contributing editor of Global Geneva magazine.
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