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Metin Arditi's Novel: A Tale of Youth and Resistance

Discover Metin Arditi's latest novel that intertwines the lives of an adolescent and a former brigadist, exploring themes of loss, forgiveness, and the quest for identity in a backdrop of Italian history and culture.

Luisa Ballin·
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ÉDITION FRANÇAISE: «L’Italie signifie pour moi beaucoup de choses de différents ordres. Le premier lien remonte à mes années d’internat à Paudex près de Lausanne, où j’ai été pensionnaire, dès 1952, à partir de mes sept ans. Je côtoyais de nombreux garçons issus de la grande bourgeoisie italienne. À l’époque, l’Europe était détruite, l’Italie avait beaucoup souffert, et ses familles aisées envoyaient leurs enfants étudier à l’étranger. J’écoutais la langue italienne et je l’ai vite parlée. Lorsque j’ai eu dix ans, ma mère et moi avons commencé à passer des vacances estivales à San Remo», se remémore l’écrivain.

Antoine de Saint-Exupéry l’a écrit : on ne voit bien qu’avec le cœur. Metin Arditi l’atteste. Son attachement à l’Italie est émotionnel, intellectuel, profond. Il possède ce tocco in più qui en fait un Italiano di cuore, par la gestuelle et l’intonation de la voix lorsqu’il s’exprime dans un italien parfait. Par des références historiques, professionnelles, littéraires, culinaires, musicales aussi, notamment lorsqu’il mentionne deux chansons de l’inoubliable Mina, dans deux de ses romans.

E se domani…Il cielo in una stanza. Refrains fredonnés. Fulgurances d’un désir d’Italie. Souvenir d’un été à San Remo. « C’est là que j’ai rencontré Mina. Ma mère voulait que j’apprenne à jouer de la guitare. Avec le guitariste de l’orchestre de l’hôtel, nous répétions dans le grand hangar près de la piscine lorsqu’une magnifique jeune femme en bikini est arrivée. Je connaissais ses chansons. Nous les avons entonnées, puis elle est m’a accompagné à la plage. J’avais 14 ans ».

Sourire malicieux avant l’évocation d’un deuxième lien, plus scolaire, pour le romancier cosmopolite de talent. « Avant la maturité, j’ai pris la décision de présenter, comme langue nationale, non pas l’allemand, que j’étudiais depuis longtemps, mais l’italien que je n’avais jamais étudié en classe. Pendant une année, j’ai suivi le cours d’italien destiné aux étrangers. Pour la maturité, j’ai choisi une pièce de théâtre : Così è (se vi pare), de Pirandello ! J’avais aussi lu Manzoni et Leopardi. Ce fut le début de mon amour infini pour la culture italienne, qui est une appartenance. Quelque chose de mystérieux. Et l’italien m’est comme une langue maternelle ».

Cosi è (se vi pare), relatée dans Tu seras mon père (récemment paru chez Grasset), est la pièce emblématique de la passion pour le théâtre que Metin Arditi partage avec le jeune protagoniste de son roman Tu seras mon père et avec le professeur de celui-ci. Tous deux Italiens, expatriés en terre lémanique pour des raisons diverses, que l’imagination féconde de l’auteur fera se rencontrer.

Puis, pendant une dizaine d’années, les rapports de Metin Arditi avec l’Italie seront sporadiques, il ne s’y rendra que le temps de revoir des amis. « La grande affaire a été que, lorsque j’ai commencé à écrire du romanesque, l’Italie s’est invitée à la table. Que ce soit dans les romans où il s’agit de peinture toscane ou vénitienne, dans L’Imprévisible, Le Turquetto ou Carnaval Noir, je ne suis plus sorti du Bel Paese », affirme l’écrivain à l’italianité chevillée au cœur.

Les années de plomb de sinistre mémoire

Il venait d’avoir vingt-cinq ans. Lors d’une premières expérience professionnelle, Metin Arditi est envoyé à Milan par son employeur McKinsey pour entrer dans deux équipes de conseils. « L’une pour la Plasmon et l’autre pour la RAS (Riunione Adriatica di Sicurtà) où mon client principal était Adolfo Frigessi di Rattalma, le petit-fils du fondateur de la RAS à Trieste. C’était une famille noble de l’Empire austro-hongrois, juive, convertie au catholicisme au moment des lois raciales. Le mari de sa sœur, Enrico Castelnuovo, qui vivait à Lausanne, était le professeur avec lequel ma femme préparait au même moment son mémoire d’histoire de l’art. Elle allait collaborer avec Jean Ziegler à l’un de ses livres phares », explique Metin Arditi, qui s’inspirera de quelques temps forts de sa propre vie pour en faire une œuvre.

Le futur écrivain se rend à Turin, Trieste, Rome et autres villes. « On voyait comment fonctionnait l’Italie. De manière insaisissable ». Un jour, à l’aéroport de Rome, en attendant l’avion pour Milan, bien avant l’émergence des Brigate Rosse, il se souvent d’une phrase de Frigessi di Rattalma à propos d’un ancien Président du Conseil italien, qui sera enlevé puis assassiné par les Brigades Rouges (BR). « Aldo Moro…Même si quelqu’un veut le traduire dans une autre langue, il ne pourra pas, tellement cet homme est complexe ».

Aldo Moro et le dirigeant du Parti communiste transalpin Enrico Berlinguer étaient les artisans du compromis historique qui devait ouvrir la voie de l’alternance politique en Italie, entre la Démocratie chrétienne et le Parti communiste. « Enrico Berlinguer et Aldo Moro étaient des hommes extraordinaires, des hommes d’État sincères. Leur souhait de faire le compromesso storico était révolutionnaire à l’époque ! Berlinguer était doté d’un grand charisme et était respecté par de nombreux ouvriers, intellectuels et artistes. Comparés aux hommes politiques d’aujourd’hui, Moro et Berlinguer étaient d’une autre trempe », affirme le romancier.

Dans Tu seras mon père, Metin Arditi introduit un personnage inattendu sous sa plume : un professeur féru de théâtre, que l’on découvrira être un ancien idéologue des Brigades Rouges. Le futur écrivain a été témoin de l’émergence de ce groupe armé en Italie. « J’ai commencé à travailler avec la société Motta en 1974. Au siège, situé Via Battistoti Sassi, j’entrai et je sortais comme dans un moulin. Puis, tout à coup, il y a eu des contrôles. Tout a changé. Les chauffeurs de l’entreprise étaient armés. Nous avions basculé dans un autre monde ».

Quel peut être l’élément déclencheur qui introduit un brigadiste dans un roman ? « Je ne me souviens pas de l’élément déclencheur. Je sais que, à partir du moment où j’ai commencé à m’intéresser aux Brigades Rouges j’étais fasciné. Parce que, je dois l’admettre, j’ai trouvé dès mon plus jeune âge que la société italienne était très inégalitaire, injuste, complaisante. En arrivant à l’internat, mon meilleur ami avait cinq valises et sa famille est repartie avec quatre. Cette abondance ostentatoire me choquait. Et puis il y avait les gens du Sud, que les gens du Nord appelaient terroni, terme péjoratif pour désigner ceux qui quittaient le Mezzogiorno pour aller travailler dans les usines, notamment chez FIAT à Turin ».

Fascination pour les Brigades Rouges

La fascination de Metin Arditi pour les Brigades Rouges surprend. « Ce qui m’a fasciné chez les BR ? En lisant plusieurs livres et en regardant un DVD, il y avait des interviews d’anciens brigadistes qui avaient fait vingt ou trente ans de prison. Ces gens, qui avaient tué, étaient d’une sincérité absolue par rapport à leur parcours. Ce qui m’a surpris et émerveillé était qu’au départ, ces gens qui n’avaient pas fait d’études se sont mis à lire les grands philosophes. La faculté de sociologie de l’université de Trento était la seule au départ à accepter des étudiants – comme Paolo Rivolta dans le livre – qui avaient un diplôme d’électricien ou de mécanicien. Ces jeunes gens et jeunes filles, nés pauvres, sans aucune chance d’avancer dans la société, pouvaient, en étudiant à l’université, avoir une vie intellectuelle riche et intense, comme à Nanterre ou à Berkeley ».

« Ces brigadistes étaient très engagés dans leurs luttes. Ils avaient une vision juste d’une société injuste. Mais ils sont ensuite entrés dans une spirale perverse. Ils ont commencé par distribuer des tracts dans les ateliers puis ils se sont mis à incendier des voitures. Et à la fin, certains se sont retrouvés assassins, dans la lutte armée. Je condamne totalement toute violence », tient à préciser Metin Arditi.

Son dernier livre n’est pas seulement une histoire romanesque originale, il se veut aussi une critique politique. « Les brigadistes rouges se sont trompés dans leur analyse de ce qui allait se passer en Italie s’ils parvenaient à terrasser la Démocratie chrétienne, car les autres partis ne les ont pas soutenus. Les brigadistes se sont « fait avoir » ! Pourquoi ? Par leur manque de culture politique. Ils ont démarré leur lutte avec une passion politique, mais ils n’avaient pas une culture politique suffisante pour comprendre des enjeux complexes. C’est là où intervient la sagesse d’Elias Canetti, que je cite. Il écrit que l’homme redoute plus que tout le contact avec l’inconnu. Il a besoin d’être entouré, de faire partie de la masse. Masse et pouvoir. C’est du reste le titre de l’œuvre majeure de Canetti. Face aux Brigades, les socialistes, les communistes, les syndicats étaient contents de faire partie du système », ajoute l’homme de lettres francophone.

En lisant Tu seras mon père, le lecteur ou la lectrice peut penser que Metin Arditi nourrit une sympathie pour les Brigades Rouges. « Ce n’est pas faux, mais elle s’arrête au crime. J’ai une sympathie pour leur analyse, leur courage, leur fraternité, mais je n’en ai aucune pour la violence, les enlèvements, les séquestrations, les attentats, les assassinats. Paolo, mon personnage, ancien idéologue des Brigades Rouges, s’est arrêté aux incendies de voitures. Il n’a pas de sang sur les mains ».

Père spirituel ou de substitution?

Dans son roman poignant, Metin Arditi tisse un lien profond entre l’adolescent et son professeur, qui porte une part de responsabilité dans l’enlèvement puis la mort de son géniteur. Question lancinante : un ancien brigadiste peut-il être le père spirituel pour un adolescent inconsolable de la mort de son père aimé et regretté ? « Paolo est un père de substitution. Parce que lui et Renato ont une passion commune pour le théâtre, une façon de parler de spiritualité sans en avoir l’air. Le professeur donne des conseils à l’adolescent, l’envoie chez Josy, femme importante pour les deux protagonistes. Il l’entoure, il se préoccupe de lui. C’est une question affective, un sentiment de se sentir protégé, écouté. Il y a entre Paolo et Renato une entente, une estime profonde, des émotions, quelque chose de fort », répond l’auteur de Tu seras mon père.

Autre thème sensible abordé dans ce roman à l’écriture sobre, élégante et percutante : Renato peut-il pardonner à Paolo, ancien idéologue de ces Brigades Rouges responsables de la descente aux enfers de son père, qu’elles ont enlevé, séquestré, relâché et qui a fini par se suicider ?

« La question du pardon se pose sept ans après la séparation entre l’adolescent devenu adulte et son ancien professeur de théâtre. Le propos philosophique d’Adolf Nadelmann, autre personnage du livre, interpelle Renato : Il faut être fort sans cesser d’être tendre », souligne Meti Arditi. Ce sera finalement Rosa, gouvernante omniprésente, guide avisée et mère de substitution du petit Renato devenu grand, qui l’incitera à revoir Paolo et Rosy. Puis Renato décidera. Si pardonner. Ou pas.

À lire :

Tu seras mon père, roman de Metin Arditi, paru en 2022 chez Grasset.

Luisa Ballin est une journaliste Italo-suisse qui collabore régulièrement avec le magazine Global Geneva.

Italo-Swiss journalist Luisa Ballin is a contributing editor of Global Geneva magazine.

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