ÉDITION FRANÇAISE: Adolf Ogi a eu un parcours exceptionnel. Né le 18 juillet 1942 à Kandersteg (canton de Berne), il a été directeur de la Fédération suisse de ski, conseiller national, conseiller fédéral, deux fois président de la Confédération suisse, puis sous-secrétaire général et conseiller spécial de l’ONU pour le sport au service du développement et de la Paix (2001-2007). Dirigeant sportif et politique populaire en Suisse et à l’étranger, cet homme charismatique continue d’être apprécié sur le plan national et au niveau international.
Les photos illustrant l’une des biographies qui lui sont consacrées, Dölf Ogi C’est formidable ! signée Georges Wütrich et André Häfliger, parue chez WERDVerlag.ch, l’ont immortalisé en compagnie de Kofi Annan et Ban Ki-moon, des présidents Jimmy Carter, Bill Clinton, François Mitterrand, Luis Inacio Lula da Silva, Nelson Mandela, Jiang Zemin, Ruth Dreifuss, de l’empereur du Japon Akihito, du Pape Jean Paul II, du prince Charles et de tant d’autres personnalités comme Roger Federer, sans oublier les champions olympiques suisses Bernhard Russi et Marie-Thérèse Nadig.
Doté d’un sens de l’humour et de la formule, Dölf Ogi, qui a présidé le parti UDC où il a milité dans l’aile « raisonnable et modérée », fait parfois « un peu le show », comme il l’avoue avec un sourire. Affable et sincère, il ne cache pas quelques indignations, notamment lorsque l’actuel Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres a transmis le flambeau du sport au service du développement et de la Paix au Comité international olympique (CIO).
La mission de conseiller spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le sport au service du développement et de la Paix vous tient à cœur. Pourquoi ?
Parce que, grâce à Kofi Annan, j’ai parcouru le monde. J’ai vu des enfants pauvres, démoralisés, sans espoir. J’étais catastrophé de les voir vivre dans un tel environnement !
À Kaboul, je suis arrivé avec des ballons. Les yeux des jeunes brillaient. Pendant un moment, ils ont oublié la situation dans laquelle ils vivaient, pour rêver à un avenir. Le sport aide à sortir de la déprime car il possède la force et la valeur qui donnent envie de créer un monde meilleur. Pour cela, il faut des personnalités politiques, des leaders économiques, scientifiques, religieux et spirituels, des artistes qui soutiennent les jeunes gens et jeunes filles qui seront les leaders de demain !
Que faire pour aider la jeunesse ?
Il faut former les garçons et les filles. Leur donner la possibilité de faire du sport, cette école de vie. Leur apprendre à gagner sans penser que l’on est forcément le meilleur, leur apprendre à perdre sans penser que c’est la fin du monde. Chaque enfant, entre sept et quinze ans, devrait avoir la possibilité de faire des fautes, sans que cela ait des conséquences graves pour sa vie professionnelle. La culture et le sport sont deux domaines offrant cela.
Vous critiquez le fait que l’actuel Secrétaire général de l’ONU ait donné le poste de conseiller spécial du sport au service du développement et de la Paix au Comité international olympique (CIO). Pour quelle raison ?
C’est une erreur ! Depuis que le Secrétaire général Guterres a donné au Comité international olympique la mission dont Kofi Annan m’avait chargé, on ne parle plus du sport au service du développement et de la Paix ! Les Nations Unies sont plus importantes que le CIO. L’ONU est critiquée, mais elle est respectée. Tous les pays ou presque en sont membres. Le Comité international olympique est plus critiqué encore et surtout le CIO ne met pas en avant le sport pour contribuer au développement et à la Paix. Il faudrait que le CIO rende cette mission à l’ONU le plus vite possible !
Comment avez-vous convaincu l’Assemblée générale de voter une résolution en faveur du sport ?
Lorsque j’ai travaillé pour l’ONU, j’ai proposé, en 2002, à l’Assemblée générale de l’UNESCO à Paris une résolution pour le sport au service du développer et de la Paix qui devrait être acceptée par l’Assemblée générale de l’ONU à New York. Le Secrétaire général Kofi Annan m’a apporté son soutien. Je suis allé voir de très nombreux chefs d’Etat et de gouvernement partout dans le monde. En une année, cette résolution a obtenu autour de 180 votes favorables. C’est une bonne base avec laquelle on peut travailler. Le CIO n’a pas cette légitimité dans le domaine du développement et de la Paix.
Comment l’ONU peut-elle récupérer cette prérogative du sport au service du développement et de la Paix ?
Il faudrait que des États, qui ont une sympathie pour le sport, fassent une proposition dans ce sens. Lorsque j’ai lancé l’idée d’une résolution à l’Assemblée générale, j’ai choisi la Suisse, sur laquelle j’ai pu compter, et la Tunisie qui était très active. Outre la Suisse, il faudrait faire pareil avec, par exemple le Brésil (ndlr : Adolf Ogi connait l’ancien chef de l’État Lula, candidat à la prochaine élection présidentielle) et un pays africain où le sport joue un rôle important.
Le président suisse pourrait-il prendre l’initiative pour aider l’ONU dans ce dossier ?
Oui, le président Cassis, qui est aussi chef du département des Affaires étrangères, pourrait faire cette proposition, d’autant plus que la Suisse a été élue au Conseil de sécurité de l’ONU et qu’elle est respectée. Le sport donne de la visibilité. Il est un atout pour le développement et la Paix.
Dans votre entretien avec Blick.ch, vous avez déclaré que la seule personne capable de tenter une médiation de paix entre la Russie et l’Ukraine est le pape François, en lui suggérant de rencontrer le président russe et le président ukrainien dans le Dombass. Ne serait-ce pas moins délicat pour le pape qu’il les invite au Vatican ?
Je suis un protestant croyant. J’ai la conviction que le pape François, fort du respect international dont il jouit, pourrait influencer le président Poutine et le président Zelensky d’arrêter la guerre. Si le pape se rend sur la ligne de front, là où il y la guerre, ce serait une initiative inédite, un geste symbolique fort vu dans le monde entier. En politique, il faut aussi chercher des symboles forts qui touchent les gens. Si le monde entier soutenait cet effort du pape, cela pourrait avoir un résultat positif.
S’agissant des relations tendues entre la Suisse et l’Union européenne (UE), que préconisez-vous pour relancer le dialogue ?
Nous sommes dans une impasse. La Suisse a arrêté les négociations et elle doit se rendre compte des conséquences. Quels sont le projet et la stratégie de la Suisse ? Je ne critique pas les négociateurs. Mais l’heure est venue que le Conseil fédéral prenne les choses en main. Le Président de la Confédération, qui est aussi en charge des Affaires étrangères, pourrait aller à Bruxelles, accompagné de deux autres conseillers fédéraux issus de deux autres partis que le sien, et faire des propositions pour un modus vivendi avec l’Union européenne.
Que proposez-vous concrètement ?
Nous avons environ 120 accords bilatéraux. Pensons à deux corbeilles : une contenant les 100 accords qui ne posent pas de problème et qu’il faut gérer. Et il est primordial de s’occuper des 20 accords problématiques. Parfois le temps règle les choses. On pourrait décider de se voir à l’échelon supérieur, du Conseil fédéral et des commissaires européens. Ils pourraient se réunir trois fois par an, en travaillant sur des solutions. Sans se critiquer ! Le monde change vite, ainsi que l’Europe. La Suisse a suivi l’UE en ce qui concerne les sanctions économiques à l’encontre du président Poutine et de ceux qui sont proches de lui. Avec une volonté politique forte, je suis persuadé qu’entre trois et cinq ans, la Suisse et l’Union européenne peuvent obtenir des résultats positifs. Il faut aussi rappeler aux pays de l’UE que nous avons construit deux lignes ferroviaires à travers les Alpes qui ont couté environ 20 milliards de francs suisses. Nous l’avons fait dans l’intérêt de la Suisse et de l’Europe.
Luisa Ballin est une journaliste Italo-suisse qui collabore régulièrement avec le magazine Global Geneva.
Italo-Swiss journalist Luisa Ballin is a contributing editor of Global Geneva magazine.
Related stories in Global Insights on the www.global-geneva.com platform
WIKI’s Centennial Expedition: A multimedia venture to help save the Med
Ai Weiwei’s Turandot
Metin Arditi invite un adolescent et un brigadiste dans son nouveau roman
Maurizio Serra perce le mystère Mussolini
In Squandered Eden, Paradise Lost
Democracy – Quo Vadimus — Where Do We Go?
La Passion : amours infinies et infinies amours
La France contre elle-même, enquête d’un journaliste franco-suisse sur la ligne de démarcation