«No Billag» : les Suisses vont-ils bouleverser leur paysage médiatique?
French version: Le 4 mars, on votera pour ou contre la suppression de la redevance radio-TV. Les opposants craignent la disparition de l’audio-visuel public. La couverture de la Genève internationale est concernée de près par cet enjeu.
La votation fédérale prévue le 4 mars prochain sur l’initiative “No Billag” réclame la suppression de la redevance radio-TV payée par les habitants de la Suisse. Cet article constitutionnel proposé par des milieux d’extrême-droite pourrait être accepté par 57% des citoyens selon un sondage sorti début décembre. Ce serait alors une première en Europe: la fin d’un audio-visuel de service public – un tremblement de terre pour la démocratie et la cohésion du pays, avertissent les opposants à ce projet. Genève internationale serait aussi touchée, car des médias purement commerciaux n’auraient rien à gagner à couvrir les débats de l’ONU ou les défis planétaires.
L’initiative s’en prend apparemment à la société Billag, chargée de percevoir 451 francs par an à chaque ménage pour avoir droit à 60 chaînes de radios et TV nationales et locales. En fait, en s’attaquant à ce simple canal (accusé de méthodes d’encaissement “agressives”), les initiants veulent tout simplement liquider le service public en Suisse, affirme avec force la présidente de la Confédération Doris Leuthard, également ministre chargée de la communication. Le Conseil fédéral, très inquiet a décidé de réduire la redevance à 365 francs (1 CHF par jour) dès 2019 et annoncé des réformes.
La redevance fournit à la SSR (Société suisse de radio-diffusion et télévision) 1,24 milliards de francs par an, soit 75% de ses recettes. Un oui à « No Billag » signifierait donc quasiment sa disparition. 13’500 emplois sont liés à l’audio-visuel public, dont 4000 en Suisse romande. Ce serait la mort de dizaines d’émissions politiques, sociales, culturelles. La fin des enquêtes, reportages, débats, magazines de consommation qui ont donné une réputation d’indépendance et de haute qualité à la Radio-Télévision suisse (RTS). Une qualité qui bien sûr a un certain coût !
Ainsi, en Suisse romande, de nombreuses émissions qui analysent chaque jour, chaque semaine, des enjeux internationaux, nourrissant ainsi la vocation mondiale de cette région où vivent 50’000 acteurs planétaires. A la radio : Tout un Monde, Détours, Monumental, Futur antérieur, Prise de terre… A la TV : Géopolitis, Temps Présent, Mise au Point… Le lâchage par la SSR de World Radio Switzerland il y a cinq ans avait déjà entamé cette vocation. « No Billag » pourrait transformer de l’arc lémanique en désert audio-visuel.
Bien sûr, des réformes sont nécessaires, en particulier une adaptation à la souplesse et à la simplicité des nouveaux médias sociaux. « Mais on ne peut pas changer le paysage médiatique en le détruisant », déclare dans le journal Le Temps le conseiller national Laurent Wehrli, du parti libéral-radical. Le règne des fausses nouvelles sera renforcé, faute d’analyses et d’informations transmises, ajoute-t-il.
En interdisant tout financement public, sauf en temps de guerre, l’initiative ouvre tout grand le marché aux opérateurs commerciaux, notamment aux géants multinationaux. En contrôlant des médias, des milieux économiques puissants (comme le milliardaire Christoph Blocher, âme du parti populiste UDC) pourraient gagner des votations et des élections, déclencher des conflits sociaux ou linguistiques, renforcer l’isolationnisme, affaiblir la politique étrangère suisse ainsi que la Genève internationale. Les contenus, idées et valeurs transmises aux citoyens ainsi qu’à la jeunesse seront décidés par des actionnaires privés ou des médias étrangers.
Il est vrai qu’en Suisse, la redevance coûte deux à trois fois plus cher que dans les pays voisins. Mais la Suisse est un petit marché de 8 millions d’habitants, fractionné en quatre langues différentes (Allemand 63%, français 23%, italien 8%, romanche 0,5% – 21% des habitants immigrés pratiquent également une langue étrangère). Les cantons latins n’auraient plus les moyens de financer une information solide à leur public. Avec des recettes publicitaires aussi limitées, seuls un grand centre comme Zurich pourrait espérer avoir une chaîne commerciale capable de rentabiliser une certaine qualité informative. Doris Leuthard n’hésite donc pas à parler d’un danger pour la cohésion du pays.
Les promoteurs de l’initiative disent défendre la « liberté de choisir et de refuser de payer pour des programmes qui n’intéressent pas les gens. Cessons d’imposer à tous des infos dites de qualité ». Pourtant, en Suisse romande, 94% de la population de plus de 15 ans écoute ou regarde régulièrement la RTS. Autre argument : aujourd’hui, ce n’est plus la radio et la TV, mais internet qui est le plus utilisé – bien moins cher et animé de plus en plus par les usagers eux-mêmes hors de tout contrôle étatique ou médiatique. Mais là aussi, répondent les opposants à « No Billag », seules des chaînes de service public peuvent assurer sur internet des informations crédibles, vérifiées, pluralistes et respectant les minorités.
Daniel Wermus