Créée en décembre 1949, l’UNRWA vient en aide à quelque 5,8 millions de réfugiés de Palestine dans la bande de Gaza, en Cisjordanie, en Jordanie, au Liban et en Syrie. Philippe Lazzarini, citoyen suisse le plus haut gradé dans la hiérarchie onusienne, a été nommé en mars 2020 par le Secrétaire général de l’ONU António Guterres au poste de Commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA), succédant à un autre Suisse, Pierre Krähenbühl, mis sur la sellette, qui avait démissionné en novembre 2019. La tâche de l’UNRWA est titanesque entre ses difficultés financières chroniques qui risquent de l’engloutir et la nouvelle donne politique au Moyen-Orient.
« On nous demande de délivrer des services publics, mais nous dépendons essentiellement de contributions volontaires des États membres de l’ONU – rappelle Philippe Lazzarini -. Depuis la fin des années 1990, il y a une baisse d’attention de la communauté internationale qui a coïncidé avec l’enlisement du processus de paix israélo-palestinien. Des dynamiques, mondiales ou régionales, ont fait que l’attention sur ce conflit n’est plus une priorité. L’UNRWA a été pointée du doigt pour des responsabilités qu’elle ne pouvait pas entièrement assumer. L’organisation ne peut pas prendre la responsabilité des incohérences politiques derrière cela. Il y a une responsabilité de la part des États de traduire le soutien politique en ressources adéquates ».
Pour Vincent Pasquier, Chef de la coordination régionale Moyen Orient au Département fédéral des Affaire étrangères (DFAE), les défis de l’UNRWA ne sont pas nouveaux. « L’agence est intimement liée au conflit du Proche-Orient. Elle est née de ce conflit, de la première guerre en 1948 et des 750’000 réfugiés palestiniens qui ont émergé de cette guerre. Ce conflit perdure depuis près de 75 ans et les défis auxquels fait face l’agence ont augmenté : de 750’00 réfugiés, nous sommes passés à 5.8 millions ».
Il estime que la nature de l’agence a changé. « L’UNRWA prend aujourd’hui des fonctions quasi étatiques, sans aucune des fonctions régaliennes. Par contre, elle offre des services indispensables dans le domaine de l’éducation, de la santé et un filet social. Ce conflit continue de polariser et d’attiser les passions tant dans la région qu’en Suisse. L’UNRWA est observée et prise à partie. Elle fait l’objet de critiques régulières ».
Comment pallier au manque de ressources financières de l’UNRWA ?
Critiques dont Riccardo Bocco, professeur émérite à l’IHEID-The Graduate Institute sis à Genève, se fait l’écho. « Comment les autres agences de l’ONU sont-elles capables de répondre au manque d’argent ? Il n’y a pas de financement assuré à l’UNRWA sauf pour les salaires des expatriés, soit le 1% des quelque 30’000 employés de l’UNRWA dont 99% sont essentiellement des Palestiniens réfugiés, voire des autres citoyens Arabes. Il y aurait un travail à faire par rapport à la capacité de mobilisation des ressources ».
Et Riccardo Bocco d’interpeller le chef de l’UNRWA : « Avec une équipe compétente, vous pourriez, Monsieur Lazzarini, élaborer une vision, être proactif, afin de pallier le manque de financement et ré-assoir le rôle de l’UNRWA, malgré les Israéliens, les Américains qui soutiennent les Israéliens etc. L’UNRWA pourrait avoir un rôle de catalyseur et commencer un processus ».
Le spécialiste du Moyen-Orient poursuit son analyse : « Depuis 1950, l’UNRWA n’a pas été capable de créer une unité faite de ses employés palestiniens. Ils sont sur le terrain. Le succès de l’UNRWA tient principalement à la qualité de ses employés, courroie de transmission immédiate concernant les besoins de la population. Le problème est que l’on n’associe pas les employés palestiniens dans le processus de prise de décisions de l’UNRWA ».
S’agissant de l’Autorité palestinienne, Riccardo Bocco affirme qu’elle ne représente plus qu’elle-même. « On dialogue avec elle, mais on renforce l’« empowerment », la responsabilisation des réfugiés palestiniens. Les pays hôtes de la région ne peuvent pas se passer de l’UNRWA. Ils ont intégré les millions de l’UNRWA dans leur économie politique ». Il demande si l’UNRWA serait capable de mettre autour d’une table les différents acteurs et de construire un dialogue, comme elle l’avait fait en 2004 avec le DFAE. Elle avait réuni 120 pays donateurs et suscité un engouement, rappelle ce fin connaisseur de la question israélo-palestinienne.
Dans sa réponse, Philippe Lazzarini pointe notamment du doigt le rôle ambigu des pays hôtes et de la communauté internationale, en citant les barrières d’inclusion socio-économique concernant les droits civiques des réfugiés palestiniens qui les maintiennent dans une situation artificielle. « Les réfugiés palestiniens se sentent abandonnés par la communauté internationale et par les pays arabes. Le monde a changé depuis 2004. Il est plus fragmenté. Nous avions à l’époque des partenaires plus prévisibles. Ils ne le sont plus. La situation devient désespérée sur le terrain. Il n’y a pas d’alternative à l’UNRWA, parce que l’alternative ne peut être que le produit d’un processus politique ».
Le frein de certains pays donateurs
Et le chef de l’agence onusienne qui vient en aide aux réfugiés palestiniens de préciser : « Il y a deux ans, lorsque nous voulions organiser une conférence de donateurs, nous avons eu des freins de la plupart de nos donateurs qui nous ont dit : ne faites pas cela parce qu’on ne veut pas que vous exposiez trop la question de l’UNRWA. Pour beaucoup des pays donateurs c’est une question domestique extrêmement sensible. Je passe beaucoup de temps auprès des parlements, de différents comités des Affaires étrangères et de partis politiques dans les pays où il y a cette sensibilité. Nous avons chaque année, au mois de juin, une conférence des donateurs, à l’Assemblée générale de l’ONU, qui regroupe les États membres ».
Compte tenu de sa situation économique périlleuse, l’UNRWA risque-t-elle de disparaître ? « Il n’y a pas d’alternative à l’UNRWA », affirme Vincent Pasquier. « Nous devons la soutenir ». À l’évocation du rôle proactif de la Suisse qui avait notamment soutenu l’Initiative de Genève, plan de paix alternatif signé en décembre 2003 dans la Cité de Calvin par d’anciens partenaires de négociations israéliens et palestiniens, le représentant du DFAE ne cache pas les aléas d’une certaine realpolitik : « Vous parlez de l’Initiative de Genève. Le monde a changé depuis. Nous voyons deux tendances parallèles et parfois contraires. Les accords de normalisation (Ndlr : les Accords d’Abraham, signés entre Israël et certains pays arabes) sont le reflet de changements profonds dans la région. Il y a vingt ou trente ans, le conflit israélo-palestinien structurait la région. Entre-temps, les printemps arabes ont posé des questions aux pays de cette région : les guerres civiles en Syrie et en Libye, les relations avec la Turquie – un acteur plus présent dans la région -, le rôle de l’islam politique, celui des Frères musulmans, la relation entre les pays du Golfe et l’Iran. Le conflit israélo-palestinien n’est plus au cœur des préoccupations ».
Vincent Pasquier évoque aussi les regains de violence à Gaza, à Jérusalem, en Cisjordanie où cette année a été la plus meurtrière avec 150 morts du côté palestinien, ainsi que deux récents attentats en Israël. Le diplomate suisse corrobore une vérité que les décideurs politiques internationaux font mine de ne plus voir : « Tant que le conflit israélo palestinien ne sera pas résolu, il restera une source de tensions, de violences et d’instabilité dans la région. La Suisse n’a jamais arrêté de soutenir l’idée d’une solution à deux États et d’offrir nos bons offices aux parties, ni de rappeler qu’il faut un horizon politique et pas seulement des mesures économiques ».
Des pistes pour éviter une explosion sociale
Que faire pour que la question lancinante du sort des réfugiés palestiniens reste à l’agenda de la communauté internationale, préoccupée aujourd’hui par la tragédie de la guerre en Ukraine ? Philippe Lazzarini met en garde contre une situation explosive : « La stabilité est importante pour nombre de donateurs. Ils ne nous soutiennent pas uniquement pour des raisons humanitaires, mais parce que nous sommes une organisation qui investit dans le développement humain. Dans un Moyen-Orient volatil, nous contribuons à la stabilité de la région. C’est un des motifs pour lesquels les États-Unis contribuent à plus de 300 millions auprès de l’organisation et que des pays européens donnent de fortes contributions à l’UNRWA ».
Mais, souligne le haut responsable onusien, « aujourd’hui le désespoir est tel que la situation tourne en ressentiment. La colère se retourne parfois contre l’UNRWA, comme au Liban, parce que les réfugiés palestiniens n’ont nulle part où aller pour exprimer leur frustration. Elle se traduit par des drames humains, comme avec ceux qui essaient de traverser la Méditerranée en prenant les trajets de la mort. Et par la colère dans les camps ».
Le professeur Riccardo Bocco propose des pistes. « Je suis ravi d’entendre l’engagement du Département des Affaires étrangères suisses. Très bien. Mais vous croyez encore au modèle de deux États ? (Ndlr : Israël et un État palestinien). C’est fini, il n’y a plus deux États. Je suis déçu que la Suisse, dépositaire des quatre Conventions de Genève, ait quitté Jérusalem pour Ramallah sous pression du gouvernement israélien. Il n’y a pas d’alternative à l’UNRWA. En attendant que les décideurs politiques internationaux prennent leurs responsabilités par rapport aux réfugiés palestiniens, l’UNRWA a des choses à faire : sur le plan juridique international, sur les conditions socio-économiques et les migrations des Palestiniens dans la région et en Europe, ainsi que concernant la sécurité dans les camps de réfugiés palestiniens. Si vous ouvrez le débat sur ces thèmes, l’UNRWA aura des financements ».
Lien pour écouter le débat au Club suisse de la presse :
Les nouveaux défis de l’UNRWA
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