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Unpacking Mussolini’s Legacy: Insights by Maurizio Serra

Discover Maurizio Serra's compelling biography of Mussolini, analyzing his political influence, the rise of fascism, and its resonance in contemporary Italy.

Luisa Ballin·
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ÉDITION FRANÇAISE: L’histoire ne se répète pas mais elle autorise des parallèles, écrit Maurizio Serra dans une note de bas de page de son livre Le mystère Mussolini(paru en 2021 chez Perrin. Grand Prix de la Biographie Politique 2021 et Prix du Nouveau Cercle de l’Union 2022). Cet ouvrage passionnant a été présenté récemment à la Société de Lecture de Genève dirigée par Delphine de Candolle. Que reste-t-il aujourd’hui, en Italie et sous d’autres latitudes, du fascisme incarné à l’époque par Benito Mussolini ?

« Du point de vue de la méthode, certaines personnes considèrent qu’il y a un fascisme universel, ainsi que des fascismes nationaux ou qui se rejoignent selon les moments et les circonstances. Mon interprétation est que le fascisme jusque dans les années 1930, reste intrinsèquement italien. Parce qu’il n’aurait pas existé en dehors de l’histoire italienne. À partir des années 1930 et du rapprochement avec Hitler, on peut parler d’une tentative de fascisme universel, considéré comme un deuxième couteau par rapport à l’attraction internationale, dans le bien ou dans le mal, que suscitait l’hitlérisme à l’époque », répond l’homme de lettres italien.

En 1994, lors de la guerre en ex-Yougoslavie, Jacques Julliard avait-il écrit un essai prémonitoire avec Ce fascisme qui vient… (édité au Seuil) ? Maurizio Serra ne pense pas que le fascisme soit de retour. « Non. En étant historien et non pas sociologue, j’étudie le passé. On m’a montré des photos récentes de gens, dans les stades, en Italie, faisant le salut fasciste. Cela ne veut pas dire que le fascisme resurgit. On voit également ce type de dérive au Pays-Bas, en Norvège, en Finlande ou dans les pays de l’Est européen. Dieu merci, c’est essentiellement du folklore historique. Quelques intellectuels, en France, en Suisse, essaient aussi de se présenter en héritiers d’une certaine tradition, contre la modernité. Oubliant que le fascisme a été moderniste en son temps ».

Résidant entre Rome et Paris, Maurizio Serra suit de près la politique italienne, française et internationale. Dans le cas italien, peut-on dire qu’Alessandra Mussolini, ancienne parlementaire et petite-fille du Duce, et Giorgia Meloni, cheffe du parti Fratelli d’Italia, se réclament du fascisme ? L’académicien en doute. « J’ai rencontré plusieurs proches de dirigeants fascistes qui ont survécu. Tous m’ont affirmé : le fascisme c’est fini ! Alessandra Mussolini a profité de son nom pour exister en politique, mais elle n’avait pas de culture. Giorgia Meloni est une politicienne de droite, habile, intelligente. La position qu’elle a prise sur la guerre en Ukraine la différencie d’une droite pro-russe, mais cela n’a rien à voir avec le fascisme ».

Nostalgie, rhétorique, provocation ?

Maurizio Serra l’admet : « Qu’il y ait une certaine nostalgie, une certaine rhétorique et parfois de la provocation ne signifie pas que dans nos pays, y compris en Suisse, des phénomènes autoritaires ne puissent pas resurgir. Mais nous parlons d’autre chose ». Nostalgie d’un homme fort ou d’une femme forte ? Qui pourrait être Giorgia Meloni en Italie, si son parti Fratelli d’Italia gagnait les prochaines élections ?

« Oui, mais si Giorgia Meloni gagne les élections, elle n’aura pas forcément une majorité qui lui permette de gouverner seule pendant cinq ans. Elle devra partager le pouvoir. Les hommes et les femmes sont forts et fortes avec un système. Et le système italien est ainsi fait, justement après l’expérience fasciste, qu’il ne donne pas le pouvoir à une personnalité forte, même démocratiquement. L’ingénierie institutionnelle italienne a été très astucieuse. L’actuel gouvernement italien est dirigé par un technocrate qui, par consensus, devient un point de repère, à un moment où la situation économique après la pandémie de Covid-19, le demande. Comme pour la France, l’Italie est condamnée à avoir des gouvernements faibles. Nous parlons en Italie d’un Président du Conseil des ministres, ce qui donne l’idée d’une gestion conjointe du pouvoir ».

« Mussolini a raté le rendez-vous avec l’Histoire »

Pourquoi avoir écrit un livre sur Mussolini ? « Parce que l’éditeur Perrin, mon ami Benoît Yvert, me l’a demandé. J’avais le matériel et la réflexion. Et j’avais une autre réaction psychologique, plus personnelle : je sortais de quarante-deux ans de vie diplomatique, qui avait coïncidé avec ma vie adulte. Je suis entré dans cette fonction à vingt-trois ans et j’en suis sorti à soixante-cinq ».

Benito Mussolini avait été socialiste. Et journaliste. Comment expliquer son basculement du côté d’Hitler ?Pour deux raisons, estime l’académicien : « La première est la guerre éclair allemande. Mussolini était convaincu qu’Hitler n’était pas aussi puissant qu’on imaginait et que la ligne Maginot allait tenir. Lorsqu’il a vu l’effondrement de la France en quelques jours, il a eu le calcul du politicien cynique qui voulait sa part du gâteau. Et il s’est retrouvé dans la situation que nous connaissons. D’autre part, il avait l’espoir que l’Italie pouvait être le modérateur de cette guerre atroce ».

Maurizio Serra, qui a succédé à Simone Veil au fauteuil numéro 13 de l’Académie française, se souvient des mots prononcés par celle qui fut ministre, Présidente du Parlement Européen, née à Nice et déportée à Auschwitz à l’âge de 16 ans : « Lorsque les Italiens étaient à Nice, ils ont sauvé beaucoup de vies humaines ». Ce qui n’empêchera pas le régime de Mussolini d’instituer les lois raciales en 1938.

Le Duce ne fut pas un visionnaire en politique internationale. « Il n’a pas vu que la Seconde Guerre mondiale était plus qu’une guerre européenne. Il en était resté à la dimension de la Première Guerre mondiale. Il n’a pas compris le rôle des États-Unis, pas saisi que Roosevelt ne pouvait pas rester neutre et qu’il ne laisserait pas l’Europe aux Allemands. Cela a été l’erreur colossale de Mussolini. Il n’a pas non plus réalisé que les peuples de l’Europe peuvent être conquis, mais pas annexés et qu’ils auront toujours une dimension de révolte. Que le choix ne serait pas entre un dominateur barbare allemand et un dominateur humaniste italien, comme il le croyait. Mais un choix de révolte contre les dominateurs. Il n’a pas pris en compte le facteur résistance, qui deviendra de plus en plus important à partir de 1941-42. Mussolini est un homme qui a raté le rendez-vous avec l’Histoire », affirme Maurizio Serra.

Complexe français et anglais

À la fin, le perdant a toujours tort, résume le diplomate écrivain. « En politique, à la différence de la littérature ou de la philosophie, il est difficile de faire des réévaluations posthumes. Mussolini a souffert d’un complexe franco-anglais, du fait que les Français et les Anglais ne le prenaient pas au sérieux. Et qu’ils prenaient plus au sérieux Hitler que lui. Des sanctions ont été infligées à l’Italie fasciste, mais pas à l’Allemagne hitlérienne qui a pu démanteler le système de Versailles sans que personne ne s’y oppose », rappelle le diplomate qui fut en poste à Berlin-Ouest, Moscou, Londres, Genève et Paris.

« Londres et Paris ont pensé avoir une marge de manœuvre plus forte avec Mussolini. Et lorsque le Royaume-Uni et la France ont essayé de l’enrôler, c’est Hitler qui y est arrivé. Du côté des démocraties et du côté de Mussolini un temps précieux a été perdu pour empêcher une alliance italo-allemande. Il y avait certainement une communauté idéologique sur certains points entre les régimes de Mussolini et d’Hitler, mais il n’y avait aucune raison pour que cela devienne une alliance de guerre », analyse Maurizio Serra.

En 1861, lors de l’unification de l’Italie, le marquis d’Azeglio aurait dit : « L’Italie est faite, il reste à faire les Italiens ». Les citoyennes et citoyens du Bel-Paese se sentent-ils unis aujourd’hui ? L’ancien ambassadeur d’Italie le pense. « Toutes les tentatives séparatistes après 1945, y compris de la part de la Lega, ont échoué. Le pays se sent unifié, dans le bien et dans le mal. Il existe encore des clivages économiques nets, mais je constate moins de différences psychologiques entre le nord et le sud de l’Italie, par rapport à celles qu’il y avait dans mon enfance. Je note un retour très fort de la culture italienne de la part de générations d’expatriés. Ce qui m’inquiète en Italie, c’est la grosse dette publique, presque entièrement financée par les Italiens. Le président du Conseil Mario Draghi tente d’orienter le marché du travail vers des activités plus productives ».

Ambassadeur, auteur du roman remarqué Amours diplomatiques (paru chez Grasset en 2020), de biographies saluées, comme celles qu’il a dédiées à Curzio Malaparte (Prix Goncourt pour la biographie 2011), Italo Svevo et Gabriele D’Annunzio, Maurizio Serra est-il écrivain diplomate ou diplomate écrivain ?« Bonne question ! Elle a été posée dans un livre, paru chez Hachette il y a quelques années. Aujourd’hui je me sens écrivain ex-diplomate. Compte tenu de mon expérience de diplomate, on me demande des interventions, notamment sur la guerre en Ukraine. Et si aujourd’hui, mon côté écrivain prime, ma vie diplomatique nourrit mes livres ».

La faiblesse de l’ONU face à la guerre en Ukraine

Après avoir été en poste pendant six ans à Genève, jusqu’en 2018, en évoquant la tragédie que vit l’Ukraine, Maurizio Serra note que l’opinion publique, pas seulement italienne, ressent un sentiment d’impuissance des Nations Unies. « Personne ne critique ce que font les agences onusiennes sur le terrain, au niveau de l’aide aux populations et aux enfants, aides qui ont toujours été appréciées. Mais j’ai été surpris par la machinerie newyorkaise. Attendre presque deux mois, de la part du Secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, pour faire le voyage de Moscou et de Kiev a été un peu tardif ».

L’ONU n’étant que le reflet de la volonté politique de ses États membres qui la financent, que pourrait-elle faire de plus ? « Quelques réformes permettraient aux Nations Unies d’être plus efficaces et redonneraient à l’ONU du poil de la bête. L’une étant que le Secrétaire général ne soit pas réélu. Si vous n’êtes pas réélu et que vous voulez rester dans l’Histoire, vous vous investissez à fond. Nous devons trouver une forme de consensus pour faire bouger les choses », conclut Maurizio Serra.

Luisa Ballin est une journaliste Italo-suisse qui collabore régulièrement avec le magazine Global Geneva.

Italo-Swiss journalist Luisa Ballin is a contributing editor of Global Geneva magazine.

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